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            Anna était inquiète, très inquiète. Depuis la reprise des cours, ni Djamel ni Lakdar n’avaient fait leur réapparition à Pierre-de-Ronsard. Si, en ce qui concernait Moussa, le cas était réglé à la suite de son incarcération, l’absence des deux autres élèves méritait toute son attention. Durant l’interclasse, elle fila jusqu’au bureau du CPE Lambert. Qui avait fait son travail. Impossible de le prendre en faute, depuis le temps, il connaissait la chanson. À la suite des relevés d’absences, il avait adressé des courriers aux familles Abdane et Meguerba pour les alerter. Sans résultat jusqu’à présent.

            – Je ne fais que suivre la procédure, plaida Lambert. Il faut attendre.

            Il souligna en outre que, quelque temps plus tôt, Lakdar Abdane s’était déjà absenté plus d’une semaine à la suite d’une consultation à l’hôpital Trousseau.

            – Votre protégé est coutumier du fait ! insista Lambert, en compulsant ses registres.

            – Les courriers ordinaires ne servent à rien, s’entêta Anna. Vous savez très bien que les gosses les piquent dans les boîtes aux lettres ! Envoyez des recommandés. Et avec accusé de réception !

            Lambert acquiesça. Bon, il allait voir. Sa préoccupation principale, c’était que la machine tourne sans trop de dommages. Après les émeutes, le climat à la cité scolaire Pierre-de-Ronsard, au collège comme au LEP, était devenu incertain. La tension était palpable, poisseuse, une remarque trop haut placée à la cantine, un rappel à l’ordre trop appuyé en cour de récré, et aussitôt, les insultes fusaient. Lambert avait bien trop à se soucier des présents pour se préoccuper des absents.

            – Chaque chose en son temps, mademoiselle Dotrinsky !

            – Doblinsky, si vous me permettez !

            **

 

            De retour en salle des profs, Anna prit un café au distributeur. Seule. L’absence de Vidal lui pesait. En parcourant le tableau d’affichage où se mêlaient les tracts syndicaux et les annonces de maisons à louer pour les vacances, de camping-cars ou de salons de jardin à céder au meilleur prix, elle s’aperçut de la présence de la photocopie d’un article du Monde, agrandie en format A3. Le « don de paix » d’un Palestinien de douze ans, tué par l’armée israélienne. Ahmed Al-Khatib avait paradé dans une rue de Jenine, avec une petite arme en plastique, un misérable jouet. Les soldats israéliens, le confondant avec un combattant, l’avaient abattu. Transporté dans un hôpital de Haïfa, il y était décédé. Ses parents avaient insisté pour faire don des organes de leur fils, quel qu’en soit le receveur. Deux fillettes juives et une jeune fille druze avaient reçu, l’une ses poumons, les autres le foie et le cœur de l’enfant palestinien.

            Aucun commentaire n’accompagnait l’article.

            Darbois corrigeait nonchalamment un paquet de copies, non loin de là.

            Anna éclata d’un rire aigre. D’une main fébrile, elle fouilla dans son cartable, y dénicha un numéro de Libé qui y était enfoui. Elle en détacha une pleine page qui relatait un épisode de la construction du Mur de séparation. Cette fois-ci, les Israéliens avaient érigé un tronçon de la clôture en plein milieu de la cour d’un collège, à Anata, à proximité immédiate de Jérusalem. Non sans peine. À chaque étape de la construction, les élèves palestiniens s’étaient affrontés à la police israélienne. En vain. Une barrière de béton haute de plusieurs mètres se dressait désormais au beau milieu de la cour de récréation. Cette affaire nous ronge. Pire qu’un cauchemar, c’est notre réalité, expliquait Mohamed Alann, le maire d’Anata.

            Anna prit un ruban de scotch, déplaça respectueusement une affiche de la FSU qui encourageait les collègues à adhérer, une autre d’un syndicat adverse qui visait le même objectif, fixa la pleine page du journal sur le tableau de liège, et ajouta un Post-it sur lequel elle inscrivit au feutre rouge : Anna Doblinsky vous informe. Après quoi, elle se dirigea vers Darbois.

            – Tu vois, lui dit-elle, moi, au moins, je signe !

            Darbois garda le nez rivé sur ses copies. Anna tourna les talons. Les collègues présents étaient restés indifférents. L’incident, si toutefois on pouvait le qualifier ainsi, passa totalement inaperçu.

            Mlle Sanchez, à qui rien n’échappait, s’approcha, inquiète.

            – Pas de souci, je suis calme, très calme, assura Anna.

 

Ils Sont Votre épouvante Et Vous êtes Leur Crainte: Roman Noir
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